Découvrez l'univers créatif de Patrick Gauthier, écrivain et artiste-philosophe, à travers ses fables, chroniques et œuvres littéraires. Un voyage entre tendresse et lucidité.
Il y a des personnes qu’on ne veut pas laisser disparaître. Il y a des voix que l’on voudrait prolonger, même un instant encore.
Le Soin de l’Âme est une séance intime, posée, où l’artiste anonyme et l’Enfant Naïf vous accompagnent dans votre deuil, votre mémoire ou votre hommage.
On écoute votre histoire. On recueille ce qui ne se dit qu’une fois. Puis, avec vous, en direct, nous écrivons : un portrait littéraire du défunt, une fable qui le révèle, et une image artistique pour l’honorer.
Ce n’est ni de la psychologie, ni de la thérapie. C’est un rituel. Un moment pour poser la mémoire dans une forme qui ne s’effrite pas.
Livrables : – Portrait littéraire complet – Fable originale de l’Enfant Naïf – Image artistique signée Gauthier – Format électronique haute qualité
Idéal pour : – hommage à un parent, un enfant, un ami – premières étapes du deuil – rassemblement familial, héritage émotionnel
Une heure pour faire vivre ce qui ne doit pas s’éteindre.
L’Enfant Naïf grimpa l’escalier de bois qui craquait comme un vieux disque. En haut, dans un grenier où flottait une lumière poussiéreuse, un homme accordait une guitare. Il avait l’air d’un gars du Lac, mais avec des yeux qui savaient trop de choses.
— T’es Dédé? demanda l’Enfant. — Ou ce qu’il en reste, répondit-il en souriant de travers.
L’Enfant vint s’asseoir, les jambes croisées comme devant un feu.
— J’ai des questions, dit-il. — Pose-les, mon p’tit. Le monde manque pas de questions.
— Pourquoi la noirceur gagne parfois? demanda l’Enfant. T’étais aimé. Pourquoi ça suffit pas?
Dédé posa sa guitare. — La dépression, c’est pas un manque d’amour. C’est comme une tempête qui prend racine dans le cerveau, pis qui se fout bien du soleil autour. — Une tempête? — Oui. Tu peux être entouré, applaudi, fêté… mais en dedans, c’est comme si quelqu’un avait tiré le fil d’alimentation. — Et ça se répare? — Souvent, oui. Mais faut que le monde arrête de dire “arrange-toi” pis commence à dire “viens t’asseoir, je t’écoute”.
L’Enfant nota ça dans son cœur.
— Pourquoi la célébrité fait mal? demanda l’Enfant. — Parce que c’est un mirage, répondit Dédé. Tu penses que ça va te remplir, mais ça t’étire. Ça t’arrache des morceaux. — Pourtant, les gens t’aimaient. — Oui. Mais plus y a d’yeux qui te regardent, plus tu t’oublies pour leur ressembler. Si t’es fragile, ça te casse en deux. — Toi, ça t’a cassé? — Ça m’a écartelé. Entre le gars simple du Lac et le symbole qu’on voulait que je sois.
L’Enfant serra ses genoux. — Moi, j’aime pas quand on m’étire.
L’Enfant hésita. — Et mourir… pourquoi c’était ta dernière idée?
Dédé respira lentement. — Parce que dans la tempête, j’ai cru que c’était la seule porte encore ouverte. La mauvaise porte. La porte désespérée. — Y avait pas quelqu’un pour t’arrêter? — Le monde essaie. Mais quand t’es dans la noirceur, t’entends pas clair. T’as honte, tu te caches, tu te dis que tu déranges.
L’Enfant baissa les yeux. — Tu regrettes? — Oui. Pas pour moi. Pour ceux qui m’aimaient. La mort, c’est une solution qui détruit ceux qui restent. Si je pouvais retourner en arrière, je demanderais de l’aide. Pas parce que j’étais faible, mais parce que j’étais humain.
L’Enfant releva la tête. — Je vais dire ça aux vivants.
L’Enfant reprit courage. — Comment un peuple décide qu’un humain devient… important pour toujours?
Dédé rit. — Personne décide ça. C’est un phénomène. Comme une chanson qui pogne. — Mais là, ils t’ont nommé personnage historique du Québec. — C’est juste une façon officielle de dire ce que le monde savait déjà : que j’ai laissé une empreinte. — Pourquoi toi? — Parce que j’ai dit la vérité du monde ordinaire. Parce que j’ai mis des mots où d’autres mettaient du silence. Parce que j’ai chanté la peine pis la fête avec le même cœur.
— Donc un personnage historique, c’est quelqu’un qu’on écoute encore? — Exact. Pas parce qu’il est parfait, mais parce qu’il a laissé une trace vivante. Quelqu’un qui a aidé un peuple à se reconnaître. — Comme toi. — Comme toi aussi, p’tit. Tu le sais pas encore.
L’Enfant rougit. — Je suis pas célèbre, moi. — Mieux : t’es nécessaire.
Le grenier devint plus clair, comme si le soleil cherchait une ouverture entre les planches.
— Tu t’en vas? demanda l’Enfant. — Non. Je reste dans les chansons, les souvenirs… pis dans les questions que les p’tits comme toi posent encore. — Tu me fais une promesse? — Laquelle? — Que les vivants vont choisir la vie. Même quand ça fait mal. Dédé lui posa la main sur l’épaule. — Ça, mon p’tit, c’est la seule vraie révolution.
L’Enfant descendit l’escalier. En bas, le monde attendait. Il marchait plus lourd, mais il marchait plus vrai.
***
Mini-bio de Dédé Fortin
André “Dédé” Fortin (1962-2000) était auteur-compositeur-interprète, fondateur du groupe Les Colocs et l’une des voix les plus marquantes du Québec des années 1990. Originaire de Saint-Thomas-Didyme, il a imposé un style mêlant vérité crue, humanité lumineuse et engagement social, donnant à la musique québécoise une énergie neuve et profondément populaire.
Ses chansons — de Julie à La rue principale, en passant par Dehors novembre — ont façonné l’imaginaire d’une génération en parlant sans filtre de la fête, de la fragilité, de la pauvreté, de la santé mentale et de la dignité humaine.
Vingt-cinq ans après sa mort, sa contribution culturelle et sociale a été officiellement reconnue : en 2025, le gouvernement du Québec l’a désigné “personnage historique”, soulignant l’impact durable de son œuvre, son influence sur la mémoire collective et son rôle unique dans l’expression de la québécitude contemporaine.
Dédé Fortin demeure l’une des figures les plus aimées et les plus vraies de la culture d’ici.
Un matin où le givre s’accrochait aux vitres du monde, l’Enfant Naïf erra jusqu’à une patinoire sans âge. La glace semblait figée dans un silence sacré, comme si elle avait retenu en son cristal les échos de milliers d’applaudissements.
Il s’assit, les jambes croisées, et écouta le vent qui murmurait un nom : Dryden.
Alors, du brouillard s’éleva une silhouette immense, drapée de blanc et de rouge, son masque posé comme un astre sur un visage calme. Ken Dryden s’avança, ses patins ne tranchant pas la glace mais le temps lui-même.
— Tu es l’Enfant Naïf, dit-il d’une voix douce comme la neige qui tombe. Tu viens chercher une réponse au deuil qui pèse aujourd’hui sur tant de cœurs?
L’Enfant hocha la tête. — On dit que tu étais un mur. Que nul ne pouvait franchir ton calme. Mais aujourd’hui, même toi, tu n’as pu arrêter la mort.
Dryden s’agenouilla. Son regard, vaste comme un horizon d’hiver, enveloppa l’Enfant. — La mort n’est pas un but marqué contre nous. Elle est la sirène qui annonce la fin d’une période. Mais sache ceci : tout ce que j’ai gardé, je ne l’ai pas gardé seul. Ce n’était pas ma force qui arrêtait les rondelles, mais ma patience, ma confiance dans l’équipe, dans le jeu, dans la vie.
L’Enfant écouta, les yeux grands comme des étoiles. — Alors même après toi, ton calme continue de protéger?
— Oui, dit Dryden. Car le véritable gardien n’arrête pas seulement des tirs. Il garde la mémoire, il garde le souffle d’un peuple, il garde l’idée que le chaos peut être affronté sans peur. Aujourd’hui encore, ceux qui pensent à moi n’entendront pas le vacarme de la foule : ils sentiront le silence avant l’action, ce moment où tout se clarifie.
Un éclat de lumière passa dans le ciel. On aurait dit une rondelle filant dans l’infini. Dryden posa sa mitaine géante sur l’épaule de l’Enfant. — Dis-leur que je ne pars pas. Je demeure dans chaque aréna où l’on croit qu’un gardien n’est pas qu’un joueur, mais une sentinelle. Je demeure dans la patience de ceux qui attendent le bon moment. Je demeure dans l’équipe, dans la fraternité, dans l’histoire.
L’Enfant sentit la glace vibrer doucement, comme si elle battait au rythme d’un cœur immense. Alors Dryden se redressa, salua le ciel, et son ombre s’éleva comme un gardien montant la garde à jamais.
L’Enfant Naïf ramassa une poignée de neige et la serra dans ses mains. — Ken Dryden n’est pas tombé. Il s’est simplement posté devant une autre porte, plus vaste que toutes les arènes.
Et il quitta la patinoire, sachant qu’aujourd’hui, partout où l’on pleure, un souffle de calme protège les vivants.
Morale
Le gardien qui nous quitte n’a pas disparu : il continue de veiller, non plus devant des filets, mais devant la mémoire et l’espérance. Dans le tumulte, rappelons-nous que le calme est plus fort que la peur, et que l’équipe est plus grande que l’individu.
Il marchait depuis l’aube, l’Enfant Naïf. Pas pour fuir. Pas pour arriver. Mais pour entendre ce que le silence avait à lui dire.
Le sentier le menait entre sapins et souvenirs. Et puis, tout à coup, il le vit.
Un homme assis sur une souche, guitare entre les mains. Ses cheveux ondulaient comme des mélodies oubliées. Ses yeux, mi-clos, regardaient un horizon que personne d’autre ne voyait.
— Tu joues pour qui? demanda l’Enfant. — Pour un instant. Pour ce qui reste quand tout passe. — Et qu’est-ce qui reste? — Ce qu’on n’a jamais osé dire, mais qu’on chante quand même.
L’enfant s’assit. Il reconnaissait quelque chose dans la voix de cet homme. Pas un souvenir. Une émotion. Comme un feu de camp qu’on aurait porté dans le cœur depuis toujours.
— Tu es musicien? — Non, dit l’homme. Il sourit. — Je suis un fou. Un fou qui a cru qu’on pouvait vivre debout, sans plier l’échine ni trahir l’âme.
L’enfant pencha la tête. — Et… ça fait mal, parfois? — Comme un fou, mon petit. Mais c’est une belle douleur.
L’homme grattait les cordes comme on console un oiseau blessé. Il chantait pour les poètes couchés sous la neige. Pour les rêveurs exilés dans leur propre patrie. Pour les enfants qui naissent avec des étoiles dans les yeux mais qu’on pousse à regarder le sol.
— On m’a dit que le Québec dort, dit l’Enfant. — Alors il faut le réveiller sans crier, répondit l’homme. Il faut lui chanter son propre rêve à l’oreille.
Et il entonna doucement :
Pour un instant, avec toi, j’ai oublié le temps…
Le vent s’arrêta de souffler. Même les feuilles écoutaient. — Tu t’appelles comment? — Serge. — Et tu viens d’où? — De ce pays qui ne sait pas encore qu’il est né.
Il se leva. — Tu veux marcher avec moi? demanda l’Enfant. — Non, répondit Serge. Mon chemin va ailleurs. Mais je t’offre un cadeau.
De son sac, il sortit une poignée de notes, un souffle d’harmonium, et un chapelet de mots gravés dans le cœur :
Si doucement, s’endormir, loin des chaînes et des murs…
— C’est quoi? — Des éclats de rêve. Quand tu croiseras un peuple qui doute de lui-même, sème-les. Et il ajouta : — Tu verras, l’espoir, ça pousse vite dans les fissures.
L’enfant le regarda s’éloigner. Il n’y eut pas d’au revoir. Seulement un regard. Et cette dernière phrase, portée par le vent :
J’ai voulu voir un monde, mais j’ai trouvé un homme…
Alors l’Enfant reprit sa marche. Et partout où il passait, il déposait les fragments du rêve de Serge. Des enfants les cueillaient. Des femmes les tissaient. Des vieux les fredonnaient en cachette.
Et un jour, peut-être, Un pays se lèverait, Pour un instant, comme un fou, Avec un chant dans la gorge et une étoile dans le cœur.
Patrick Gauthier (en hommage à Serge Fiori, et au rêve inachevé d’un Québec libre)
Serge Fiori (1952–2025)
Auteur-compositeur-interprète québécois
Né à Montréal le 4 mars 1952, Serge Fiori est l’un des artistes les plus marquants de la musique québécoise. Il est surtout connu comme le leader, chanteur et principal compositeur du groupe Harmonium, fondé en 1972. Avec des albums légendaires comme Harmonium (1974), Si on avait besoin d’une cinquième saison (1975) et L’Heptade (1976), Fiori a redéfini le paysage musical québécois en fusionnant rock progressif, folk, poésie et spiritualité.
Après la dissolution du groupe à la fin des années 1970, il poursuit une carrière solo marquée par l’introspection et la recherche spirituelle. Son album solo éponyme de 2014 est acclamé et marque un grand retour après plusieurs années de retrait médiatique.
Compositeur de musique de film, collaborateur discret mais influent, Fiori incarne une génération d’artistes qui ont su marier quête identitaire, exigence musicale et message universel. Sa voix douce, ses harmonies envoûtantes et ses textes à la fois philosophiques et accessibles ont laissé une empreinte durable.
Il est décédé le 24 juin 2025, à l’âge de 73 ans, dans la région du Lac-Saint-Jean.
Un jour, alors qu’il errait dans un village oublié, l’Enfant Naïf entendit une mélodie étrange et familière qui résonnait dans l’air, un mélange de rires et de larmes. Intrigué, il suivit les sons jusqu’à un théâtre désert où les murs, autrefois brillants, portaient les traces du temps. Sur la scène, un homme seul répétait des lignes avec une intensité qui semblait invoquer des fantômes du passé.
— Qui es-tu ? demanda l’Enfant Naïf en s’approchant timidement.
L’homme se retourna et, à sa grande surprise, c’était Julien Poulin, l’acteur de légende. Son visage portait les marques d’une vie de passion, mais ses yeux brillaient toujours d’une flamme inextinguible.
— Je suis un acteur, un conteur d’histoires, répondit Julien avec un sourire. Mais aujourd’hui, il semble que les rideaux se soient refermés pour de bon.
— Pourquoi continues-tu à jouer, alors ? demanda l’Enfant.
— Parce que les histoires ne meurent jamais, dit Julien. Elles vivent en nous, dans chaque éclat de rire, dans chaque larme. Mon rôle, c’est de les préserver, même si personne ne regarde.
L’Enfant Naïf resta silencieux un moment, absorbant ces mots. Puis, avec la naïveté qui faisait sa force, il proposa :
— Et si je devenais ton public ? Peut-être que tes histoires pourraient voyager à travers moi ?
Touché par cette offre sincère, Julien invita l’Enfant à s’asseoir. Il lui raconta l’histoire d’un homme nommé Elvis Gratton, symbole d’excès et de contradictions, mais aussi d’une humanité cachée derrière la caricature. Il parla de luttes, d’amitiés, de rêves et d’un Québec en quête de son identité.
L’Enfant écoutait, les yeux écarquillés, et à chaque mot, il voyait les images prendre vie devant lui. Quand Julien eut fini, il demanda :
— Qu’as-tu appris, petit ?
— Que même les masques les plus extravagants cachent une vérité. Que rire et pleurer, c’est la même chose quand on aime vraiment. Et que chaque rôle que tu joues laisse une empreinte, comme une étoile dans la nuit.
Julien hocha la tête, ému par cette sagesse innocente. Alors, dans un dernier geste, il tendit à l’Enfant un vieux chapeau qu’il portait dans un de ses films.
— Prends-le, dit-il. Porte-le fièrement. Et continue de raconter des histoires. Elles sont notre immortalité.
L’Enfant accepta le chapeau avec une révérence solennelle, puis quitta le théâtre, emportant avec lui non seulement l’histoire de Julien Poulin, mais aussi la promesse de la faire vivre pour toujours.
Et depuis ce jour, chaque fois que l’Enfant Naïf racontait une nouvelle histoire, il portait ce chapeau, en hommage à un homme qui avait su illuminer le cœur de tant de gens, simplement en jouant.
Moralité : Les histoires, même lorsqu’elles semblent finir, continuent de vivre à travers ceux qui les portent en eux.
Julien Poulin (né le 20 avril 1946 à Montréal, décédé le 4 janvier 2025) était un acteur, réalisateur, scénariste et producteur québécois. Reconnu pour son talent exceptionnel et sa capacité à incarner des personnages mémorables, il a marqué le cinéma et la culture québécoise à travers une carrière prolifique.
Carrière
Julien Poulin est surtout connu pour son rôle culte d’Elvis Gratton dans la série de films éponyme réalisée avec son collaborateur de longue date, Pierre Falardeau. Ce personnage caricatural et satirique est devenu un symbole de critique sociale au Québec, explorant avec humour et ironie des thèmes liés à l’identité culturelle, la politique et le chauvinisme.
Outre Elvis Gratton, Julien Poulin a joué dans de nombreux films, séries télévisées et productions théâtrales, où il a démontré sa polyvalence et sa profondeur d’interprétation. Il a également travaillé derrière la caméra en tant que réalisateur et scénariste, participant activement à l’évolution du cinéma québécois.
Contributions et Impact
Artiste engagé, Poulin a contribué à des œuvres marquantes qui reflétaient la réalité sociale et culturelle du Québec. Son partenariat avec Pierre Falardeau a donné lieu à des films emblématiques tels que Octobre et Le Party, qui abordent des questions historiques et politiques.
Récompenses et Héritage
Julien Poulin a reçu plusieurs distinctions tout au long de sa carrière, célébrant son talent d’acteur et sa contribution à la culture québécoise. Sa capacité à mêler satire, humour et critique sociale a laissé une empreinte durable dans la mémoire collective.
Vie personnelle
Julien Poulin était admiré pour sa simplicité et son authenticité, autant dans sa vie publique que privée. Malgré le caractère flamboyant de certains de ses personnages, il était connu pour sa modestie et son attachement aux valeurs humaines.
Décès
Julien Poulin est décédé le 4 janvier 2025, laissant derrière lui un héritage artistique impressionnant et des générations de Québécois inspirés par ses œuvres. Sa contribution à l’identité culturelle du Québec restera à jamais gravée dans les mémoires.
Julien Poulin est mort. Ou peut-être qu’il s’est juste éclipsé, comme un dernier éclair au bout d’un vieux néon. Une présence qui, même absente, occupe encore tout l’espace. C’était un gars de vérité, Julien, un de ceux qui n’avaient pas peur de mettre leurs tripes sur la table, même quand ça faisait mal. Pas besoin de maquiller ça, pas besoin de faux airs. Julien, c’était du brut, du vrai. Une gueule, une voix, un cri dans la nuit québécoise.
Dans un monde où tout le monde veut briller, lui, il savait se salir les mains. Il savait qu’entre la lumière d’un projecteur et l’ombre des coulisses, c’est souvent dans l’obscurité qu’on trouve ce qui compte. Pas besoin de flaflas, pas besoin de flambeaux. Il jouait, il vivait, il créait. Pas pour plaire. Pas pour flatter. Mais parce qu’il savait qu’on est vivant tant qu’on peut raconter une histoire.
Elvis Gratton, ce n’était pas juste une blague, un rire gras à l’emporte-pièce. C’était un miroir, un foutu miroir qu’il nous tendait à bout de bras, comme pour nous dire : « Regarde-toi, osti. » Et nous, on riait. Mais pas un rire facile. Un rire qui gratte dans le fond de la gorge, un rire qui fait réfléchir. Parce que Julien avait ce don de transformer la caricature en poésie crue. Derrière les perruques, les paillettes, et les gros mots, il y avait un homme qui cherchait à comprendre ce que ça veut dire d’être ici, d’être nous, d’être Québécois.
C’était un gars de la scène, mais aussi un gars des ruelles. Il avait ce je-ne-sais-quoi qui te donnait l’impression qu’il avait vécu cent vies avant toi. Tu voyais Julien et tu voyais quelqu’un qui avait aimé, qui avait perdu, qui avait mangé des coups et qui s’était relevé chaque fois, le sourire en coin. Pas parce que ça faisait joli, mais parce que c’est ce qu’on fait quand on n’a pas le choix. Quand on sait que la seule alternative, c’est de rester couché.
Julien, c’était pas un héros, et il n’aurait jamais prétendu l’être. Mais c’était quelqu’un qui savait où regarder quand tout le monde détournait les yeux. Il savait qu’un bon rôle, c’est comme une bonne chanson : ça te rentre dedans, ça te remue, ça te change. Et lui, il jouait chaque rôle comme si c’était le dernier, avec cette intensité qui ne triche jamais.
Maintenant, il n’est plus là, mais il reste tout. Les images, les mots, les silences entre les phrases. Julien Poulin, c’est une empreinte qu’on ne peut pas effacer. Une empreinte qui nous rappelle que la vie, c’est souvent sale, souvent brisée, mais que c’est toujours beau, si on prend le temps de regarder.
Alors, merci, Julien. Merci pour les rires, pour les regards francs, pour les moments où on s’est vu, vraiment vu, à travers toi. Là-haut, ou ailleurs, où que tu sois, continue de raconter tes histoires. Parce qu’ici, on ne les oubliera pas.
Et si le ciel a un théâtre, tu peux parier que ce soir, les rideaux se lèvent pour toi.
Un soir où le vent marchait plus lentement que les vivants, l’Enfant Naïf trouva un homme assis devant une table de bois. Son visage était dans l’ombre, comme s’il n’avait pas décidé encore s’il voulait être vu ou oublié.
— Tu fais quoi? demanda l’Enfant.
L’homme traçait des lignes dans l’air, comme si la page était trop petite pour contenir ce qu’il portait.
— J’essaie d’écrire pour quelqu’un qui souffre, dit-il. — Pourquoi t’effaces-tu? demanda l’Enfant. — Parce que ce n’est pas à moi qu’on doit penser. — Et pourquoi signes-tu alors?
L’homme soupira. Il avait la fatigue de ceux qui savent trop bien écouter.
— Parce que si je ne signe pas, n’importe qui pourrait voler leur douleur et la transformer en marchandise.
L’Enfant Naïf s’assit à côté de lui. Il posa ses doigts sur la table. Le bois vibra comme une mémoire.
— Alors tu fais partie du chemin, dit-il. — Non. — Si. — Je ne veux pas prendre de place. — Ce n’est pas prendre de la place, dit l’Enfant. C’est tenir la lampe.
L’homme resta silencieux.
— Et pourquoi veux-tu que ce soit unique? demanda l’Enfant. — Parce qu’il n’y a qu’un seul père, une seule mère, une seule amie. Parce que chaque vie porte une nuance que personne d’autre n’a. Une fable répétée serait une trahison. Un souvenir photocopié serait une insulte. Une douleur copiée-collée deviendrait un mensonge.
L’Enfant Naïf hocha la tête.
— Tu sais, dit-il, authentique veut dire fait devant quelqu’un. Pas parfait. Pas exact. Présent. C’est pour ça que tu écris devant eux. Parce que les mots veulent être nés en témoin.
L’homme releva la tête. On voyait mieux son regard maintenant : il portait la lumière de ceux qui écrivent pour les autres, pas pour eux-mêmes.
— Et pourquoi toi? demanda l’Enfant. Pourquoi tu veux être là, quand ils sont en train de tomber ou de partir?
L’homme répondit :
— Parce que la mort fait un bruit que les vivants n’entendent plus. Parce que quelqu’un doit traduire. Parce que je ne sauverai personne… mais je peux tenir la main du dernier silence.
L’Enfant Naïf sourit.
— Tu n’es pas un écrivain. — Non? — Non. Tu es une voix qu’on emprunte quand la nôtre tremble. Et moi, je suis là pour rappeler que même au bord du monde, il reste encore quelque chose qui écoute.
L’homme reprit son crayon, et dans un geste rapide, sûr, presque ancien, il traça une signature simple :
— Gauthier avec la lance du T qui fend l’ombre comme un chevalier qui protège sans être vu.
L’Enfant Naïf regarda la signature briller sur la page et dit :
— Voilà. Tu t’es effacé. Tu as signé. Tu as fait les deux en même temps. C’est comme ça qu’on accompagne.
Et depuis ce soir-là, chaque fable écrite pour un vivant ou un mourant porte ce double souffle : la douceur de l’Enfant Naïf et la présence discrète de Gauthier, celui qui se tient juste assez proche pour éclairer le chemin, et juste assez loin pour ne jamais le voler.
Patrick Gauthier
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