Un matin où le givre s’accrochait aux vitres du monde, l’Enfant Naïf erra jusqu’à une patinoire sans âge. La glace semblait figée dans un silence sacré, comme si elle avait retenu en son cristal les échos de milliers d’applaudissements.
Il s’assit, les jambes croisées, et écouta le vent qui murmurait un nom : Dryden.
Alors, du brouillard s’éleva une silhouette immense, drapée de blanc et de rouge, son masque posé comme un astre sur un visage calme. Ken Dryden s’avança, ses patins ne tranchant pas la glace mais le temps lui-même.
— Tu es l’Enfant Naïf, dit-il d’une voix douce comme la neige qui tombe. Tu viens chercher une réponse au deuil qui pèse aujourd’hui sur tant de cœurs?
L’Enfant hocha la tête.
— On dit que tu étais un mur. Que nul ne pouvait franchir ton calme. Mais aujourd’hui, même toi, tu n’as pu arrêter la mort.
Dryden s’agenouilla. Son regard, vaste comme un horizon d’hiver, enveloppa l’Enfant.
— La mort n’est pas un but marqué contre nous. Elle est la sirène qui annonce la fin d’une période. Mais sache ceci : tout ce que j’ai gardé, je ne l’ai pas gardé seul. Ce n’était pas ma force qui arrêtait les rondelles, mais ma patience, ma confiance dans l’équipe, dans le jeu, dans la vie.
L’Enfant écouta, les yeux grands comme des étoiles.
— Alors même après toi, ton calme continue de protéger?
— Oui, dit Dryden. Car le véritable gardien n’arrête pas seulement des tirs. Il garde la mémoire, il garde le souffle d’un peuple, il garde l’idée que le chaos peut être affronté sans peur. Aujourd’hui encore, ceux qui pensent à moi n’entendront pas le vacarme de la foule : ils sentiront le silence avant l’action, ce moment où tout se clarifie.
Un éclat de lumière passa dans le ciel. On aurait dit une rondelle filant dans l’infini. Dryden posa sa mitaine géante sur l’épaule de l’Enfant.
— Dis-leur que je ne pars pas. Je demeure dans chaque aréna où l’on croit qu’un gardien n’est pas qu’un joueur, mais une sentinelle. Je demeure dans la patience de ceux qui attendent le bon moment. Je demeure dans l’équipe, dans la fraternité, dans l’histoire.
L’Enfant sentit la glace vibrer doucement, comme si elle battait au rythme d’un cœur immense.
Alors Dryden se redressa, salua le ciel, et son ombre s’éleva comme un gardien montant la garde à jamais.
L’Enfant Naïf ramassa une poignée de neige et la serra dans ses mains.
— Ken Dryden n’est pas tombé. Il s’est simplement posté devant une autre porte, plus vaste que toutes les arènes.
Et il quitta la patinoire, sachant qu’aujourd’hui, partout où l’on pleure, un souffle de calme protège les vivants.
Morale
Le gardien qui nous quitte n’a pas disparu : il continue de veiller, non plus devant des filets, mais devant la mémoire et l’espérance.
Dans le tumulte, rappelons-nous que le calme est plus fort que la peur, et que l’équipe est plus grande que l’individu.

